Ils ne pensaient pas le voir d’aussi près. Accroupis en silence dans le tunnel de vision, le « clou » de leur visite à la Maison des loups, les visiteurs peuvent les regarder dans les yeux, à travers une simple vitre. Une expérience forcément unique, mais sans sensationnalisme. Comme lors du nourrissage des loups, les soigneurs profitent surtout de ce moment pour apporter des informations et répondre aux questions du public. Une mission pédagogique à laquelle tient beaucoup Frédéric Mola, le fondateur et directeur du parc. « On n’est pas là pour impressionner. Quand on a eu l’idée de créer ce parc, il y a vingt-cinq ans, c’était pour accompagner le retour du prédateur en France dans un esprit de découverte, pour montrer le loup en toute objectivité. Le loup ne laisse personne indifférent. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il intéresse tout le monde, il interpelle. »
« Personne ne veut revenir au Moyen Age,
quand il y avait 8 000 loups en France !
Mais il faut trouver un équilibre,
qu’on n’éradique plus jamais le loup en France »
Certains visiteurs viennent soigner leur peur du prédateur. D’autres, surtout les enfants, sont déçus de ne pas les approcher davantage. Mais si les loups du parc n’ont jamais connu la liberté (ils sont en captivité depuis au moins six générations), ils restent des animaux sauvages.
« Quand on travaille avec le loup, il ne faut pas avoir de problème d’ego », reconnaît Jérémy. Aucune complicité entre le soigneur et ses protégés, pas de petit numéro pour le public ni de petits noms. D’ailleurs, le protocole est clair. On n’entre qu’en cas d’absolue nécessité dans un enclos et jamais seul. L’animal est intelligent et extrêmement territorial. Quand les soigneurs entrent dans l’enclos, ils savent lui faire comprendre, en grognant et en hurlant, qu’ils ne sont pas les bienvenus. Pas de quoi intimider le jeune soigneur de 26 ans, entré au parc il y a six ans après une formation d’éducateur canin. Il s’est passionné pour le prédateur et son histoire avec les Hommes. « On a plus de comportements communs avec les loups qu’avec les singes, c’est cette proximité qui a fait que le loup est le premier animal que l’Homme a apprivoisé. On a projeté la part négative des humains sur le loup parce qu’au fond, il nous ressemble beaucoup. »
Quand il était gamin, Frédéric, lui, rêvait d’être ranger. La réalité en tant que garde national pour le ministère de l’Environnement, pendant trente ans, ne l’a pas déçu, bien au contraire. Mais aujourd’hui, à 56 ans, il se consacre entièrement à la Maison des loups. Depuis sa création, le contexte a bien changé. Arrivés à trois depuis l’Italie en 1992, les loups n’étaient qu’une dizaine à l’état sauvage en France au moment de l’ouverture du parc.
Ils sont autour de 500 aujourd’hui. Les tensions se sont accrues au fur et à mesure de leur avancée et des attaques sur les troupeaux. Il y a tellement de légendes et d’histoires sur les loups qu’il est important pour Frédéric de rétablir rapidement quelques vérités.
« Depuis un million d’années, le loup est génétiquement
programmé pour attaquer quand sa proie se met à courir.
Il ne joue pas. »
« Je ne suis pas un défenseur extrême du loup, d’ailleurs je ne pense pas appartenir à un camp ou à un autre. Je veux juste rappeler que si le loup n’est pas gentil, le loup n’est pas méchant non plus, explique-t-il calmement au groupe qui vient de s’asseoir dans le tunnel de vision. Comme les renards ou les ours, les loups ne sont pas sanguinaires. Ils répondent à des déclencheurs de prédation. Depuis un million d’années, le loup est génétiquement programmé pour attaquer quand sa proie se met à courir. Il ne joue pas. Depuis que l’Homme a commencé à élever des animaux, le loup, lui, n’a pas eu le temps de se reprogrammer. Il continue de fonctionner avec son instinct. » Et les Hommes ? « Les attaques du loup sur l’Homme, ça n’existe pas. Par contre, le loup en a très peur. Il a peur de sa verticalité. Le loup a été martyrisé depuis des millénaires par les Hommes ; il a assimilé la verticalité à la dangerosité. »
Chaque été, le parc d’Orlu accueille entre 45 000 et 50 000 visiteurs, mais l’hiver, les loups sont seuls. Au fond de la vallée, le soleil ne brille que quelques dizaines de minutes dans la journée ; le téléphone portable ne passe pas. « Ce n’est pas la même ambiance ! », sourit Denis.
Cet hiver, pour la première fois, c’est lui qui est chaque jour venu nourrir la vingtaine de pensionnaires et s’assurer que tout allait bien. S’occuper des loups, c’est « une corde de plus à mon arc », reconnaît l’éducateur canin de 35 ans, qui a été homme d’attaque, dresseur, éleveur et a même entraîné pendant quelques mois les chiens d’une unité spéciale de la SWAT, la police d’élite aux États-Unis. « Ça permet de décoder un peu mieux certains comportements chez les chiens, sans tomber dans les pièges anthropologiques. Le loup est la première espèce que nous avons réussi à domestiquer, il nous a aidés à chasser, à protéger notre territoire. Depuis que nous avons créé les chiens, le pacte avec les loups s’est rompu. »
« Comme tous les prédateurs,
le loup a une vraie place dans l’écosystème. »
Pas de fascination béate chez Denis, mais un respect certain pour ses « protégés ». « Comme tous les prédateurs, le loup a une vraie place dans l’écosystème. Il est opportuniste, il mange tout ce qu’il peut capturer. En s’attaquant aux plus faibles il permet aux maladies de ne pas s’étendre, il régule les populations de chevreuils qui, quand ils sont trop nombreux, provoquent l’érosion des rivières. »
Il sait que les moyens de protection ne font pas l’unanimité chez les éleveurs. « Il va falloir que ça s’arrête, d’opposer les uns aux autres. Ça fait vingt ans qu’on ne trouve pas de solution parce que personne ne joue le jeu ! » Pour Denis, il faut réapprendre aux Hommes et aux loups à vivre ensemble. « Il faut dresser nos loups ! Le loup se méfie de tout ce qui peut le blesser. Il faut qu’il se casse les dents sur les troupeaux, qu’il comprenne que le mouton, il ne faut pas s’en approcher. Quand le loup est installé, qu’il a pris ses habitudes, il est beaucoup plus difficile de le déloger. »
Des tirs d’effarouchements, des moyens sonores, des chiens patous ? « Il n’y a pas de solution miracle, c’est sûr. » Car rien n’est simple avec le loup. Même les tirs ciblés, autorisés exceptionnellement par l’État afin de protéger les troupeaux, s’avèrent contreproductifs. « Ils déstructurent et affaiblissent la meute. Et son moyen de défense, ça va être de se reproduire plus », explique Denis. Pour lui, une des clés, c’est la pédagogie.
Avec patience, il répond à toutes les questions que lui posent les visiteurs. Le rôle de chaque loup dans la meute. L’alpha, le meneur, qui seul a le droit de se reproduire. Mais l’omega aussi, moins connu, « le pacificateur, qui va recevoir les décharges d’agressivité des autres loups et va permettre à la meute de ne pas trop se bagarrer. » À Orlu, chaque espèce a son enclos. Mais s’ils ne se mélangent jamais, cela ne les empêche pas de communiquer entre meutes, le soir. « Le cri du loup est un moyen de se rassembler, un outil de cohésion. C’est aussi une façon de montrer aux autres qu’il ne faut pas venir. Il n’y aucun animal plus territorial qu’un loup ! »
« Il faut dresser nos loups. Il faut qu’il se casse les dents
sur les troupeaux, qu’il comprenne que le mouton,
il ne faut pas s’en approcher »
« Il faut savoir apprécier l’animal simplement pour ce qu’il est, un animal », confie Jérémy. Aussi passionné qu’il soit pour ses pensionnaires, Frédéric ne veut pas se résoudre à devoir trouver une utilité au loup pour justifier sa présence. « Je pense simplement qu’en tant qu’êtres humains on n’a pas le droit de supprimer une espèce. L’activité pastorale est importante et je la défends, mais la présence du loup aussi. Il a sa place dans l’écosystème. On sait bien qu’aujourd’hui on ne peut pas avoir une population disproportionnée. Personne ne veut revenir au Moyen âge, quand il y avait 8 000 loups en France ! Mais il faut trouver un équilibre, qu’on n’éradique plus jamais le loup en France. »
Cet article a été publié dans le numéro #2 d’Oxytanie (septembre-octobre-novembre 2019)
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Article extrait du numéro #2
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